Rehearsal of Anxiety

Rehearsal of Anxiety d’Anna Lim ausculte, détourne et retourne à l’envoyeur (la photographie d’actualité) ses codes et excès dans la représentation de la catastrophe. Grinçante anxiété.

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Rehearsal of Anxiety montre quelques scènes d’un drame non identifié : il pourrait s’agir d’une attaque terroriste, d’un accident industriel également. Mais la présence d’éclairages de studio contrecarre les premières impressions d’une image d’actualité. Est-ce que le fait de troubler la lecture de l’image fait partie de ton projet ?
Oui, je voulais montrer une scène tragique porteuse du concept de métafiction. L’éclairage est un dispositif qui permet de montrer que la situation dans l’image est dirigée, et elle devient un élément visuel qui symbolise le système médiatique. Cependant, les représentations théâtralisées des personnes dans les images expriment l’anxiété, la colère et le deuil, des choses inhérentes aux émotions. Je voulais montrer à la fois les émotions que créent les médias et les sentiments intérieurs des gens.

Tes photos mises en scène critiquent-elles d’une certaine manière la photographie d’actualité et/ou son utilisation par les médias ?
Je peux dire que oui. Depuis son invention, la photographie a joué un rôle important dans le consensus sur la guerre et les catastrophes sociales. La photographie d’actualité, en particulier, a remplit le rôle après du publics d’informer sur la souffrance des victimes un grand nombre de personnes en se servant d’informations visuelles dont le réalisme était l’une des caractéristiques… Et le réalisme est aussi l’une des caractéristiques de la photographie.
Cependant, je pense que les médias capitalistes font appel aux émotions plutôt qu’à la raison en montrant des images de la souffrance d’autrui en utilisant des éléments provocateurs, des utilisations répétitives et diverses hypothèses. J’ai parfois l’impression que les victimes montrées sur les images ne sont qu’une des données censée représenter l’ampleur de la catastrophe, et qu’il n’y a aucun deuil ni respect pour l’existence des personnes impliquées dans la catastrophe. Je pense qu’il serait très triste et injuste que je sois confronté à une catastrophe sociale et que j’apparaisse dans une photo de news sous la forme d’une victime.
Avais-tu des événements spécifiques en tête lorsque tu as conçu ces scènes, ou s’inscrivaient-ils dans une métaphore globale de la peur ?
Le motif de Rehearsal of Anxiety est constitué des nouvelles, entre 2017 et 2019, concernant les missiles nucléaires nord-coréens et la menace qu’ils représentaient. Le sujet a été couvert par toutes les chaines d’information, avec des explications de divers experts et des hypothèses sur l’ampleur de la catastrophe. Je pensais alors que les catastrophes qui se produisent en un lieu du village mondial étaient liées à mon environnement sous une forme ou une autre. Mon travail a commencé autour de l’idée de la possibilité du terrorisme dans la vie quotidienne, et une perception que la compréhension et les sentiments qui naissent des catastrophes sont ambigus. . Les images de ma série ont été inspirées des premières images de guerre et du désastre terroriste qui remportent le prix international de la photo de presse ces dernières années.
Penses-tu qu’être coréenne te donne un regard spécifique sur la peur d’une attaque armée/terroriste ?
Malheureusement, la Corée (du Sud et du Nord) est toujours en état de trêve et la guerre n’a pas cessé. Et parmi les divers intérêts des grandes puissances, le Sud n’a pas de véritable pouvoir de décision militaire. En politique intérieure, les gens ont longtemps été unis ou divisées sur la question des menaces de la Corée du Nord, sur fond d’anticommunisme. Les souvenirs de la guerre de Corée de 1950 et des divers événements et problèmes politiques et sociaux qui se sont déroulés depuis lors entre la Corée du Nord et la Corée du Sud sont encore des cicatrices et des vecteurs d’anxiété pour les Sud-Coréens, y compris pour moi-même. D’une certaine manière, l’expérience apporte une réponse sociale judicieuse, mais je pense qu’il existe une anxiété inhérente aux individus qui n’a pas été résolue. Et on pense parfois que l’anxiété répétée et continue a conduit à l’impuissance et à l’indifférence.
Dans La Guerre du Golfe n’a pas eu lieu, Jean Baudrillard écrivait : « Le drame réel, la guerre réelle, nous n’en avons plus ni le goût ni le besoin. Ce qu’il nous faut, c’est la saveur aphrodisiaque de la multiplication du faux, de l’hallucination de la violence, c’est que nous ayons de toute chose la jouissance hallucinogène, qui est aussi la jouissance, comme dans la drogue, de notre indifférence et de notre irresponsabilité, donc de notre véritable liberté. » Es-tu d’accord avec cette opinion ?
Je suis tout à fait d’accord. Intentionnellement ou non, le développement de la mécanique visuelle et la nature des médias capitalistes tend vers l’idée de faire de la souffrance d’autrui un spectacle. Je pense donc que les individus survivants sont devenus des témoins impuissants de tragédie dans la structure complexe du pouvoir mondial, et qu’ils se retrouvent avec l’accablement de ne pas avoir assez de temps pour faire le deuil et de faire face à l’idée que leur propre mort ne sera pas différente. Si le deuil et l’anxiété ne sont possibles que dans les films, et non dans la réalité, la réalité devient un lieu à fuir. J’ai voulu ramener à la réalité la question de l’agitation sociale dans les actualités par le biais ma série, et je voulais être une personne autonome qui exprime ses sentiments intérieurs avec les participants. J’ai emprunté les caractéristiques extérieures de la photographie d’actualité, je l’ai imitée et je l’ai exprimée par une exagération théâtrale. Cette méthode est une tentative de se distancier des émotions passives provoquées par les médias et d’avoir un point de vue rationnel et une position active.
Anna Lim vit et travaille à Seoul. Sa série Rehearsal of Anxiety a remporté le ILWOO Foundation Photo Award en 2020, et le Portfolio Review Award d’Arles en 2019.

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