Dans le souvenir intime de la nuit qui était, et dans l’anticipation des ténèbres qui guettent.

Blanche, bleue, électrique, moment où s’animent et se transforment les choses et les êtres vivants, oscillant entre onirisme et crudité, la nuit nue qu’Arko Datto parcourt dans tous les sens n’a rien à voir avec le sommeil.

Où en es-tu avec la nuit ?
Les deux travaux présentés ici sont les deux premiers volets d’une trilogie. J’ai cherché en images la signification de la nuit pour les êtres humains, mais aussi les animaux, et l’environnement, comment il se transforme. La narration de ces sujets est tenue par un travail d’identification, de mise au diapason des lieux parcourus durant les multiples prises de vue. Guidé par mon instinct, j’ai donc tenté de dresser un portrait existentiel de la nuit, à la subjectivité revendiquée, plus dans l’esprit des travaux de Michael Ackerman ou d’Anders Petersen que dans celui de la street photography.

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Subjectivité que tu revendiques aussi dans le nom des ces deux travaux (What news of the snake that lost its heart in the fire et Will my mannequin will be home when I return). Ont-ils une signification?
J’aime qu’ils soient impossibles à mémoriser [rires]… Bon, le premier SnakeFire a été réalisé en Indonésie et en Malaisie. Durant mon séjour à Penang (Malaisie), un python a été trouvé par des ouvriers sur un chantier, il s’est trouvé être le plus grand python jamais capturé, long de 7m90… Après avoir été manipulé, exhibé, filmé pendant trois jours, l’animal est mort. Le second, Mannequin, a été photographié en Inde, j’ai été marqué durant sa réalisation par la présence des figures inanimées, statues de divinité, mannequin de magasins, par la place qu’ils occupaient dans l’espace, par leur présence…
Le traitement de tes images, la palette de bleu, la saturation semblent avoir aussi été très travaillés…
J’ai construit ces deux sujets pendant quatre ans. Au bout de deux ans, j’ai cherché une forme, une identité en terme de traitement d’image, de couleur. J’aborde chaque sujet on essayant de de lui donner une identité particulière.
Il y a quelque chose d’animiste dans ton exploration de la nuit, humains, animaux mais aussi objets et lieux semblent évoluer au diapason, de manière connectée…
Tu sais je suis de Calcutta, c’est le Bengale, avec le Bangladesh, on a les mêmes racines. Avant que l’hindouisme ne devienne majoritaire, ici, il y avait une multitude de cultes et rituels panthéistes. Je crois que les gens ici ont gardé ce sens d’une énergie animiste qui pulse partout, et qu’ils vénèrent. Un tantrisme natif, primordial… Avec l’arrivée de l’hindouisme, c’est devenu une religion syncrétique. En fait l’hindouisme n’est pas une religion monolithique, ses pratiques sont multiples et régionales en Inde…
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Deux semaines après cette interview par Skype, j’ai reçu un message d’Arko :
En fait après qu’on a parlé, j’ai pris conscience d’une autre histoire que racontait ce travail [Mannequin]. Tu sais que maintenant, il y a des groupes de vigilantes, des milices qui tabassent les couples qu’ils trouvent ensemble, des bandes contre l’abattage des vaches qui lynchent des musulmans qui transportent les bêtes à l’abattoir… Il y a une sorte de situation pré-génocidaire qui est entrain de s’installer dans le pays, on est entrain de devenir un Etat nationaliste hindou autocratique… Ce travail a commencé juste quatre mois avant que Modi [Narendra Modi, Premier ministre indien depuis 2014] ne vienne au pouvoir et qu’on assiste a une résurgence de ferveur / haine religieuse durant ces quatre dernières années… Dans mon travail, tu en vois les symboles et parfois prémisses : couples désemparés, vaches mortes, vigilantes… Voilà pourquoi j’aimerais que l’on ajoute cette phrase qui maintenant pourrait le définir : Dans le souvenir intime de la nuit qui était. Et dans l’anticipation des ténèbres qui guettent. Voilà où en est l’Inde avec la nuit.

arkodatto
Arko Datto a publié Pik-Nik au Bec en l’air éditions.

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