Baaangkok… Shit !
C’est sur ces mots bien sentis, prononcés par Luck, l’héroïne du film regardant au-delà de son reflet dans la vitre les lumières de la ville que commence Bangkok Nites. Un récit-fleuve, nourri de plein de thèmes-affluents : la marchandisation des corps et des idées, les paradis perdus / paradis retrouvés, la musique, l’amour, les révoltes passées et à venir.
Bonjour Katsuya. Bien que parlant de prostitution, ton film pourrait être qualifié de dialogue amoureux entre la Thaïlande et le Japon, es-tu d’accord avec cette lecture?
Bien sûr, dès le début, lorsque j’ai envisagé ce film, j’ai pensé à une histoire d’amour entre un homme japonais et une femme thaïlandaise qui soit aussi, un peu, un portrait des relations entre leurs deux pays.
C’est vrai. Je voulais témoigner des différence de perception des deux parties aussi…
Il est lié à la croissance économique ultra-rapide du Japon de l’après guerre, la recherche d’une main-d’œuvre bon marché. Beaucoup de compagnies japonaise se sont installées en Thaïlande et la diaspora s’est accrue en conséquence. Dans certains restaurants, le menu proposait les services de « maitresses à l’étranger ». Ainsi s’est développé toute une population de chauffeurs, rabatteurs, parfois les petits amis des prostituées. Nous avons dû nous faire accepter d’eux pour parler, recueillir la parole des femmes qui a nourrit le film.
Justement, il y a une étonnante spontanéité, dans les dialogues de ces femmes qui sont toutes des prostituées jouant leur propre rôle, y compris l’impressionnante Luck, Subenja Pongkorn de son vrai non, l’héroïne du film. Vos dialogues ont-ils été très écrit ou avez vous au contraire laissé la caméra tourner pour capter des instants de vie ?
La grande majorité a été écrit et joué… Le tout inspiré des heures de discussion que j’ai eu avec les femmes du film.
Il est totalement la conséquence de la découverte, et la fascination que j’ai ressenti pour cette région. Je pense que les thaï en général ont une vie spirituelle intense et complexe, mais nulle part je n’ai ressenti cette impression aussi fortement que dans l’Isan. Il y a aussi une dimension politique : cette région me semble être un point de résistance aux principes d’accumulation et de consumérisme qu’incarnent Bangkok. Je voulais aussi rendre compte de l’existence méconnue d’une guérilla communiste plutôt virulente dans la région. Enfin l’autre choc a été la découverte de la musique de l’Isan, dont les genres populaires comme le mor lum [littéralement, le virtuose du récit], le luk thung [littéralement, l’enfant des champs] sont autant de manifestes de résistance et de contestation.
Oui, nous avons tissé des liens d’amitié au-delà du film. Après la sortie de Bangkok Nites, elle a décidé d’arrêter la prostitution et a démarré une autre activité, un petit commerce. Mais le film a réinvesti les réel quand des japonais l’ayant vu arrivaient dans l’établissement où Luck travaillait en demandant à la rencontrer… En conséquence de quoi, la patronne du lieu l’a rappelée pour y travailler à la réception, une sorte de guest-star en fait… Ce qui est drôle, c’est que des personnes demandent également à voir Ozawa, le personnage que je joue dans le film, la fiction et ma biographie sont maintenant bien entrelacées…
Un film de Katsuya Tomita
Scénario : Toranosuke Aizawa, Katsuya Tomita
Merci à Guillaume Morel et Emmanuel Vernières de Survivances pour la mise en contact avec Katsuya, à Terutarô Osanaï pour l’interprétariat jusqu’à l’épuisement.
La BO du film, constituée de création originales enregistrées pendant le tournages, de remixes et de morceaux rares de genres musicaux propres à l’Isan comme le luk thung ou le mor lum est un bijou sonore publié chez EM Records, label japonais en pointe sur les musiques du sud-est asiatique.