Tête au carré

Nait et grandit à Okinawa, parcourant inlassablement sa ville Nara à la recherche d’émerveillement, « femme, insecte,  fleur, tout ça va ensemble », Ryiuchi Ishikawa, adepte du pas de côté esthétique et du portrait frontal nous montre un Okinawa intime, entre déglingue et troublante humanité.

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On sent dans tes photos une volonté de coller à ton sujet, animé ou pas, d’aller au plus près de sa singularité.
Sans doute. Pour les humains, c’est particulièrement sensible pour moi… Ma photographie nait dans un espace de création de relation, de proximité : manger, dormir, boire, trainer ensemble.  Ca commence par une image : je shoote et la photo devient le point de départ d’un échange qui peut être suivi, durer dans le temps. Et par la suite, c’est quelque chose comme un processus de digestion de ma relation : la photo dans un sens accompagne toujours ma relation aux autres…  J’aimerais que la photo soit mon unique langage, j’annote, je construis, je dis ce que je n’arrive pas à exprimer avec des mots.

Cette relation change-t elle beaucoup selon que tu shootes à Okinawa ou à Paris ?
C’est indifférent pour moi, les modalités sont les mêmes. Mais pratiquement, à Okinawa, je possède les codes, je fais partie de la communauté. A Paris, tout ça est beaucoup plus compliqué… C’est la relation aux personnes photographiées qui change. Chez moi, je me sens plus proche des personnes que je photographie, je me sens eux, avec un appareil photo, les petites frappes, les zonards, les dopés.

 Au passage, tu délivres un portrait vibrant et assez brutal d’Okinawa.
Dès que tu sors de la carte postale du Hawaï japonais, la réalité d’Okinawa est brutale. Economie pourrie, taux de chômage record et marginalisation dans le processus de décision. Il ne faut pas oublier aussi que jusqu’au XVIIIè siècle,  nous n’étions pas japonais… Et qu’après la deuxième guerre, nous avons été sous administration américaine jusqu’en 1972. Notre identité n’est pas uniquement japonaise.

 Ton travail veut-il rendre compte de cette spécificité ?
Non, ce sont les individus qui m’intéressent et je m’attache à ce qui les environne avec des considérations  esthétiques… Mais je crois que si dans ce processus, tu es sincère, alors l’aspect social ou politique de ce que tu photographies apparait clairement. La sincérité est essentielle en photo, dans les arts en général. L’important c’est d’être sincère.

Tu as remporté il y a deux ans le prix Kimura Ihei [l’un des plus prestigieux prix photographique japonais], a publié 3 livres. Quelles sont au Japon les conditions matérielles d’une photographe dont le succès s’affirme ?
Eh bien les éditeurs dans un sens ont misé sur moi, l’argent de la vente de mes livres leur revient. Je vis des  commandes qu’entraine ma visibilité, de ventes aux collectionneurs… Et comme ça ne me rapporte pas assez d’argent, je suis gigolo occasionnel (rires).

Ca marche bien ?
Moins que la photographie.

Tant mieux. Tu vas donc pouvoir continuer à prendre des photos. Merci Ryiuchi.

Ryiuchi Ichikawa a publié quatres livres : « Okinawan portraits 2010-2012” et « A Grand Polyphony » dont est issu notre série chez Akaaka. Adrenamix chez Shashasha et dernièrement, « Okinawan portraits 2012-2016 ».

Remerciements à Mie Sudo pour l’interprétariat, à Guillaume Diamant-Berger pour la mise en contact, aux deux pour la soirée passée avec Ryiuchi. 

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