Yan et le Yangtze

L’idée est simple, son ambition est épique : marquer de points distants de 100 km le cours du fleuve Yangtze (long de 6211 km) sur Google Earth, de sa source à son embouchure, puis se rendre sur ces 63 point équipé d’une chambre photographique 4X5 pouces pour fixer ces lieux qui n’avaient jamais été reliés entre eux. Une odyssée.

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Que représente le Yangtze dans la culture et la mentalité chinoise?
Le fleuve Yangtze peut représenter une multitude de chose. Mais en tant qu’icône nationale moderne, il incarne la Rivière Mère, qui est presque l’équivalent de l’idée de Terre Mère, dont on dit qu’elle est naturellement unie par un fleuve et naturellement portée vers la modernité par le courant du fleuve s’écoulant vers l’est. En ce sens la Rivière Mère est presque une idéologie. C’est l’analogie naturelle du développement industriel et de l’urbanisation en cours dans le pays…
D’où t’es venue cette idée de découper le cours du fleuve en tronçons de 100 km?
Le Yangtze en tant que fleuve iconique est toujours représenté par des images qui célèbrent un petit nombre de lieux bien choisis, comme les Trois Gorges par exemple. Dans la photographie critique contemporaine, ce sont les Trois Gorges également qui ont le plus attiré l’attention.Si vous tapez « Yangtze » sur Google, vous verrez les images. Elles sont assez similaires, et prises d’un nombre de lieux très restreints. En tant que personne nait en Chine, je sais que le cours du fleuve regorge d’une énorme diversité géologique, géographique, historique et humaine. C’est pourquoi j’ai décidé de photographier le fleuve dans sa continuité et d’ignorer délibérément ses lieux de passage obligé en fixant mes points de chute à intervalles réguliers. J’espère qu’à travers ça, nous avons pu documenter les aspects les moins connus du fleuve, et par extension, donner à voir un nouveau « portrait » de la Chine contemporaine.
Comment as-tu procédé et combien de temps as-tu mis pour photographier ces 63 points le long du fleuve?
J’ai effectué 8 voyage en Chine en 4 ans. J’ai d’abord repéré des lieux le long du fleuve en faisant des expérimentations. Puis j’ai élaboré le « système de Points Y » (c’est à dire de photographier tous les 100 km, j’appelle les lieux ainsi définis les « Points Y ») Typiquement je partais un mois pour photographier entre 10 et 15 Points Y. Parfois, comme pour les premiers 700 km du fleuve, le voyage à des endroits isolés et élevés du plateaux tibétain s’est révélé très éprouvant. Je n’étais pas seule. Je louais toujours une voiture et donc un chauffeur m’accompagnait. Mais en terme de création artistique, je me sentais plutôt seule. Je n’avais personne à qui poser des questions et devait faire face aux différentes situations par moi-même.
Depuis une dizaine d’années, on voit apparaitre régulièrement des travaux photographiques venus de Chine, des productions isolées, souvent d’une grande ampleur et qualité, qui documentent les paysages et populations du pays, la manière dont il(s) change(nt). Pensent-tu que les Chinois redécouvrent leur pays, qu’il y a un besoin de le voir et de se voir?
Oui. Je pense que la Chine change si vite qu’on perd une part de notre identité avec les paysages qui disparaissent. Photographier est une manière d’observer, de refléter et (peut-être) d’accepter ce qui est entrain d’arriver.
Penses-tu que cet état de fait soit lié au temps (cette époque de changement), ou à l’espace (un pays si vaste qu’il est inconnaissable)
La Chine est vaste et jusqu’à il y a 10 ans, la plupart des personnes ne possédait pas de voiture personnelle. Maintenant la population s’enrichit et devient plus mobile. Il y a un élan qui pousse à explorer le pays, à voir de ses propres yeux. Peut-être y a t-il des similitudes avec la manière dont les Américains documentaient leurs road trips…
Justement, je me disais que cet humanisme et cette volonté documentaire, l’aspect humain et paysager aussi, m’évoquait l’utilisation de la photographie dans les États-Unis de années 30, telle qu’on a pu la voir dans la Farm Security Administration. Te sens-tu proche de cet état d’esprit?
Je suis une grande fan de la tradition photographique documentaire américaine et également de la photographie humaniste française… Marc Riboud, Walker Ewans, Ansel Adams, Stephen Shore et Joel Sternfeld sont d’importantes influences…
Est-ce que prendre une photo de paysage ou de personne engage le même processus pour toi?
Prendre des photos de personnes, tout particulièrement de personnes en situation de portrait individuel et plus difficile pour moi. C’est surement parce que m’applique des règles dont je ne veux pas déroger. Je veux faire des images intéressantes qui ne sexualisent ni ne marginalisent les gens.
Je crois que tu vis en Angleterre maintenant, vas-tu retourner bientôt arpenter la Chine?
La Chine est toujours à l’agenda mais actuellement, j’ai envie d’explorer la Grande Bretagne et l’Ouest.

Merci Yan.

yanwangpreston
Mother River, le livre est publié chez Hatje Cantz.

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