Blue Window, Two Roses

Centres commerciaux, studios fond vert et effritement du réel : la Chine mutante de Yuanyuan Yang.

Qui sont les silhouettes vertes que l’on voit dans ta série Blue Window, Two Roses?
Cette série a été inspire par un nouveau genre de studio photo où les gens peuvent choisir le décor dans lequel leur image va être incluse : un château, un beau parc, devant la Tour Eiffel etc…Ce genre de « studio fond vert » est un business récent qui est apparu en Chine ces 10 dernières années. Aujourd’hui, ce genre nouveau de studio photo est souvent situé près de sites touristiques, de nouveaux centres commerciaux, ou à l’entrée de supermarchés de villes de deuxième ou troisième ordre… Le stand est juste constitué d’un fond vert et d’une borne abritant l’appareil photo. Le client peut choisir son fond favori parmi une bibliothèque de plus de 10.000 images, allant des sites touristiques internationaux aux portraits de people, en passant par des personnages de dessins animés en 3D ou des zones résidentielles chics. Faisant face à leur illusoire lieu idéal de vie, le client pose joyeusement face à l’écran vert et reçoit la preuve qu’il y est allé, qu’il en est.

 

Que représente ou signifie selon toi dans la Chine d’aujourd’hui la popularisation de ce genre de studio fond vert?
Parmi toutes ces images qu’on peut choisir comme fond, les plus populaires sont celles des sites historiques et touristiques de style européen. Tandis que dans la vraie vie, le même type de paysage est également devenu commun en Chine continentale durant les 10 dernières années, à peu près au même moment de le développement des studios fond vert. Par exemple, il y a un parc à Beijing avec des versions miniatures de la Tour Eiffel et de l’Arc de Triomphe et dans le centre commercial tout près de chez moi il y a une immense image d’un bus anglais à l’impériale et de la Tour Eiffel dans la même scène, histoire de donner un sentiment d’international au réel local.
Ma démarche, c’est de photographier les lieux que j’ai parcouru dans le réel, je les mixe avec des lieux du studio photo. Je suis toujours intriguée par le fait que beaucoup de gens à travers le globe -et tout particulièrement en Chine- tiennent à se projeter dans des villes européennes… C’est ce collectif, ce nous composite qui se projette dans l’ailleurs que représentent mes silhouettes vertes pour répondre à ta première question.

Peux-tu nous donner une clé pour interpréter ce titre assez énigmatique : Blue Window, Two Roses?
Le titre vient d’une image de fond qu’a choisi une femme dans un studio en face d’un supermarché à Xining. La traduction du texte chinois qui apparait sur l’image de fond serait littéralement “un voyage romantique”, nom que j’ai conservé comme titre chinois de ce travail. Il est visible au coté du titre en anglais. J’ai aimé le fait que ces deux terme réunis ne fonctionnent pas au niveau du sens, mais qu’ils soient ensemble, réunis dans ce même décor. Blue Window et Two Roses expriment aussi un certain romantisme, des éléments auxquels pensent les gens quand ils imaginent un « lieu occidental romantique ».

 

Tu commences ce sujet en documentant le phénomène de studio fond vert puis tu commences à jouer avec ses codes visuels… Ce faisant, tu renverses la relation des deux éléments composant tes images : les personnes deviennent virtuelles et les décors réels…
C’est vrai, comme je le disais ces silhouettes vertes représentent un « nous composite », un couple, un groupe d’amis, une famille ou une personne seule face à l’appareil photo. Et en mixant les deux type d’image, je veux désorienter le spectateur, que quand tu regardes une de mes images, tu ne saches pas quel genre de fausse image tu regardes : une image composée du studio fond vert ou la vraie photo d’un faux paysage…
Actuellement, ces frontières deviennent de plus en plus floues de différentes manières : il y a les différences entre le réel et le virtuel, et la distance entre le monde et nous même. Les paysages urbains en Chine s’uniformisent d’une curieuse manière : sur la carte GPS d’une ville, on peut trouver facilement une centaine de lieux de nommant Rome ou Paris, et ça ne cesse d’augmenter.
On peut aussi rencontrer différentes versions de l’Arc de Triomphe, on construit des pyramides dans des villages désolés, des statues de pharaons sur des plaza de centres commerciaux, on trouve des répliques de bourgs canadiens à l’échelle originale dans des banlieues perdues… Avec une ambition sans limite et un certain esprit d’aventure, on se dirige vers un monde imaginé à la fois développé et transnational. Les « studios fond vert » et les vrais immeubles de notre monde réel, ces deux avatars de notre construction du réel, tous deux reflètent un idéal de style de vie contemporain, partagé une majorité de personnes de milieux très différents. Ils sont resplendissants et néanmoins irréels, scintillants comme des pépites d’or dans des bulles géantes…

Dans un précédent travail, In-between Places, tu photographiais des lieux de consommation et de distraction imprégnés de solitude, avec un sentiment de glissement ou de perte du réel, penses tu que les « studios fond vert » font partie de ce même processus de perte du réel ?
Avec In-between Places, je revisitais ce qu’ont de plus quotidien nos espaces publics : chaines d’hôtels, centre commerciaux, aquariums, zoos…Des lieux à la fois familiers et étranges, appartenant à notre époque mais aussi à un âge indéterminé. Les deux travaux effectivement se focalisent sur l’espace urbain et les changements de la cité dans l’ère de globalisation accélérée que nous connaissons.

 

Une différence significative entre les deux est que maintenant, ton travail à pris la forme d’installation trans-média. Éprouves- tu une grande liberté narrative avec cette forme ?
Avec Blue Window, Two Roses, il y a une vraie borne photo dans l’espace d’exposition, ainsi chaque visiteur peut prendre une photo d’elle/lui-même. Tout dans cet espace évoque le studio photo cheap, mais une fois de plus, le vrai et le faux, se mêlent dans tous les sens ici…
La photographie a toujours été mon principal médium mais la mise en œuvre de mon travail dans un espace donné a toujours été également très importante, cet espace pourrait-être celui d’un livre, d’une galerie ou de tout autre type d’exposition. L’avantage de travailler avec une installation est que vous pouvez ajouter différents médias au projet, ce qui me semble une manière absolument naturelle de raconter une histoire. La construction d’un livre ou celle de l’espace d’exposition sont toutes deux fondamentales…
Je crois que la plupart des gens sont impatients quand ils visitent une galerie… Ils y restent dix minutes maxi, puis s’en vont… Alors on doit pendant ce laps de temps trouver un moyen de toucher le spectateur. Avec ce projet, je tente la séduction de l’action, de faire interagir la personne dans un cadre recrée du photo studio. S’ils sont intrigués, ils peuvent voir mes propres images, lire les textes, mais s’ils n’ont que dix minutes, j’essaie qu’ils aient compris de quoi il retournait et j’aimerais qu’ils aient passé un bon moment aussi.

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